Economie circulaire, effet de mode ?

L’économie circulaire est un concept très vague, tellement vague que tout le monde s’y retrouve, à la fois les citoyens, les associations, les industriels, les multinationales, les politiques, etc.

C’est pour cela que l’économie circulaire est à la mode : il n’y a pas de définition stabilisée, chacun y met ce qu’il y veut et on peut même y « recycler » quelques bon vieux concepts : écologie industrielle, économie de la fonctionnalité, économie du partage…

Des modes de consommation responsables et éthiques pour tous?

Selon certaines approches l’économie circulaire est fondamentalement «disruptive» et implique l’émergence d’un nouveau système économique fondé sur la collaboration entre tous les acteurs.

Un système où les flux de matière seraient recirculés au maximum et les activités économiques seraient intrinsèquement régénératives.

Toutefois elle ne pourra être réellement bénéfique pour tous que si ses promoteurs reconnaissent explicitement ses limites et travaillent avec des approches complémentaires, permettant ainsi une démarche holistique face aux défis de la durabilité.

L’économie circulaire va-t-elle évoluer pour inclure au centre de sa définition des considérations sociales, l’équité et d’autres notions aujourd’hui absentes ou va-t-elle les laisser de côté ?

De quelle économie parle-ton ?

Étymologiquement : du grec ancien oïkonomia, gestion de la maison, constitué de oikos, maison, et nomos, gérer, administrer. … Plus généralement, l’économie est une science sociale qui étudie la production, la répartition, la distribution et la consommation des richesses d’une société.

L’économie de marché* est la combinaison de la liberté et de la concurrence, et elle assure un équilibre entre offre et demande, production et consommation, qui conduit à la croissance économique.

Les déterminants de la croissance économique jusqu’à la fin du XIXème siècle sont essentiellement le travail, le capital et la terre ce qui à long terme conduirait la croissance à disparaître (rendement décroissant).

Toutefois au début du XIXème siècle, l’économiste Jean Baptiste SAY propose une vision de l’économie qui ne sera pas soumise à cette malédiction.

L’innovation et les nouveaux services incorporés aux produits permettraient en effet selon lui de créer une demande nouvelle pour ces nouveaux produits créant des débouchés naturels qui permettent d’échapper au tarissement inéluctable de la croissance. C’est la loi des débouchés qui stipule que l’offre crée sa propre demande. 1

  • Il faudra attendre la fin des années 50 avec la théorie néoclassique de la croissance pour que les modèles traitant de la croissance proposent d’autres solutions pour échapper à la malédiction des rendements décroissants.
  • 1956 le modèle de SOLOW introduit les notions de croissance démographique et progrès technique pour une croissance stable.
  • Dans les années 80 est introduite la notion de croissance endogène qui met l’accent sur le progrès technique et son accumulation.
  • Au milieu des années 80 est introduit le concept de la soutenabilité de la croissance.

L’économie collaborative

Une autre vision de la place de l’économie dans la société, a été envisagée au milieu du XXe siècle par le socio-économiste d’origine hongroise, Karl Polanyi.

K. Polanyi a commencé par identifier deux sens à l’économie.

 

  • Un sens formel, l’économie met en relation les moyens aux fins. Dans ce sens il s’agit de maximiser son intérêt (son profit), en faisant donc en sorte de ne pas gaspiller : il faut économiser (recherche d’efficience).
  • Un sens substantif où l’économie est le processus qui permet de réaliser l’existence matérielle de l’homme (recherche d’efficacité). Or cette existence matérielle passe par des interactions avec les autres hommes et avec leur environnement naturel. Les interactions avec les autres hommes s’insèrent dans un cadre social car l’homme ne peut subsister en dehors de la société. L’économique est ainsi immergé, encastré, dans le social.

 

K. Polanyi identifie quatre principes de comportement économique, trois au sens substantif et le dernier au sens formel.

  • Réciprocité
  • Redistribution
  • Administration domestique
  • L’échange marchand

 

L’économie collaborative produit de l’innovation sociale en mobilisant des comportements économiques qui renforcent la cohésion sociale alors que l’échange marchand est un comportement qui tend à dépersonnaliser les échanges.2

Croissance économique et croissance verte.

L’enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au cœur de  la croissance verte, n’est rendu possible que si l’on réduit massivement notre consommation énergétique.

Toutefois cette croissance verte semble éluder la question de nos modes de vie et pourrait in fine n’être qu’une mystification.

Les questions fondamentales sont alors posées : Pourquoi produit-on ? Que produit-on ? Et comment produit-on ?

Nous pourrions d’ores et déjà produire moins sans que notre qualité de vie en pâtisse, bien au contraire.

Ensuite par une systématisation de l’éco-conception, les produits, que l’on utilise tous les jours, devraient être plus facilement réparables, réutilisables, modulaires, à plus longue durée de vie, constitués d’un seul matériau plutôt que de matériaux composites.

De plus la façon dont on produit ces biens est également cruciale.

Aujourd’hui, l’organisation industrielle mondiale est telle que quelques usines fabriquent des quantités phénoménales de produits.

Dans ces usines la part du travail humain se réduit toujours plus, au profit de la mécanisation, des robots et bientôt des drones, générant à bon coût des stocks massifs qu’il faut ensuite écouler sur des marchés « saturés ».

Il faut donc relocaliser une partie de cette production, retrouver l’échelle du territoire, des petites entreprises, des ateliers, de l’artisanat, d’un tissu industriel et commercial à l’échelle de l’Homme.

Mais la question, du protectionnisme et de l’échelle des territoires à protéger, se pose alors inévitablement. 3

Economie circulaire et croissance

Quand on évoque l’économie circulaire, on pense souvent au recyclage des déchets et des matériaux et à l’usage modéré des ressources naturelles.

Mais pour qu’un nouveau système durable et équitable puisse émerger, c’est l’ensemble du modèle économique qu’il faut repenser.

La croissance économique est inséparable des inégalités de richesse, qu’elle produit et dont elle se nourrit.

Avec les écarts de richesses qui existent actuellement, aucune ambition écologique ne semble possible. Dans les vingt dernières années, cette croissance a été très forte, le rapport entre très riches et très pauvres a atteint des niveaux sans précédent.

La sobriété énergétique ne pourra venir que de la sobriété économique et sociale, et non de la démesure des fortunes et des trains de vie.

Selon la définition de l’Ademe, l’économie circulaire est un système économique qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources à tous les stades du cycle de vie des produits.

Il s’agit de « faire plus avec moins ».

C’est beau, mais utopique, car on ne sait pas découpler de manière absolue croissance du PIB et décroissance de la consommation matérielle et pollution.

Il faudrait plutôt « faire un peu moins avec beaucoup moins » ! 4

Recyclage et déchets, quelles limites ?

Le recyclage présente trois limites, une mineure (à court terme) et deux majeures.

La mineure, c’est l’usure liée au deuxième principe de la thermodynamique : on ne recycle jamais à 100 %, il y a toujours des pertes.

La première limite majeure, c’est l’existence des alliages. Les métaux ne sont pas utilisés dans leur forme pure, mais sont généralement mélangées à un ou deux « grands » métaux. Selon les mélanges, et en fonction des quantités, une partie de la ressource n’est pas récupérable en fin de vie.

La seconde limite majeure au recyclage, c’est l’usage dispersif. Les métaux ne sont pas toujours utilisés sous forme métallique, ils le sont aussi beaucoup sous forme chimique. Or, il est quasiment impossible de récupérer tous ces métaux dispersés.

Et la situation va s’aggraver. Il n’y a qu’à voir les appels à l’innovation, les subventions accordées, tous les projets qui sortent concernant les nanotechnologies, la biologie de synthèse, le numérique, les objets connectés, la robotique, etc.

Tout le monde s’émerveille face à ces nouveautés, mais la voie que nous poursuivons est en réalité mortifère, tant du point de vue de la consommation de ressources et d’énergie que de la génération de déchets électroniques ingérables.

Le droit positif français ne connaît pas la notion d’économie circulaire et ne lui confère pas de définition précise. Et le droit des déchets est lui aussi interrogé.

La définition juridique* actuelle du déchet (un déchet ne cesse pas d’être un déchet au seul motif qu’il fait l’objet d’une réutilisation économique) demeure controversée alors qu’un débat complexe est en cours concernant les tenants d’une prévention intégrale de la production de déchets (“objectif zéro déchets”) et ceux qui souhaitent que le déchet puisse être qualifié de “ressource” ou, dans certaines circonstances, de “matière première secondaire”. 5

Notons aussi qu’avec la focalisation sur le plastique, le projet de Loi sur le gaspillage et  l’économie circulaire, tend aussi à masquer les autres sources de déchets. 6

Il est plus facile d’imaginer un monde sans emballages jetables que de réduire les produits mis sur le marché….Rien n’a été fait pour réduire la surproduction dans le secteur textile, alors qu’il s’agit du quatrième émetteur de gaz à effet de serre mondial, regrette-t-elle, ni pour limiter l’impact du e-commerce. Aucun moratoire sur l’extension des zones commerciales, aucune réflexion sur les niveaux de consommation, les importations, le trafic aérien de marchandises… souligne Alma Dufour des Amis de la Terre.

 

* Dupont de Nemours, 1808-1811 « les fabriques et le commerce ne (peuvent) fleurir que par la liberté et par la concurrence, qui dégoûtent des entreprises inconsidérées, et mènent aux spéculations raisonnables ; qui préviennent les monopoles, qui restreignent à l’avantage du commerce les gains particuliers des commerçants, qui aiguisent l’industrie, qui simplifient les machines, qui diminuent les frais onéreux de transport et de magasinage, qui font baisser le taux de l’intérêt ; et d’où il arrive que les productions de la terre sont à la première main achetées le plus cher qu’il soit possible au profit des cultivateurs, et revendues en détail le meilleur marché qu’il soit possible au profit des consommateurs, pour leurs besoins et leurs jouissances » https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2008-1-page-38.htm

** la notion de déchet ne doit pas s’entendre comme excluant les substances et objets susceptibles de réutilisation économique et ne présuppose pas… l’intention d’exclure toute réutilisation économique…. qu’ayant constaté que du moment qu’ils ont été abandonnés à l’origine, les déchets réceptionnés ont pris la qualité de déchets et que la finalité utilitaire qui leur est réservée est sans effet sur cette qualité,

Ressources

  1. https://www.wikiterritorial.cnfpt.fr/xwiki/bin/view/vitrine/La%20croissance%20et%20les%20crises%20%3A%20les%20d%C3%A9terminants%2C%20la%20soutenabilit%C3%A9%20de%20la%20croissance%2C%20les%20cycles%20et%20les%20crises
  2. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01249308/document
  3. https://reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue
  4. https://reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue
  5. https://www.actu-environnement.com/ae/news/droit-economie-circulaire-chronique-arnaud-gossement-17958.php4
  6. https://reporterre.net/Loi-economie-circulaire-des-mesures-marginales-qui-n-enrayent-pas-la-crise-ecologique

Pour aller plus loin

https://reporterre.net/Le-rapport-au-Club-de-Rome-stopper-la-croissance-mais-pourquoi

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_circulaire

http://herve.dequengo.free.fr/Mises/AH/AH15.htm